L’exposition photographique “Idir, une vie” a été organisée en 2017 au Centre Culturel Berbère de Drancy ainsi qu’au Château de Ladoucette. Ce furent d’émouvantes retrouvailles avec celui qui a passé sa jeunesse et lancé sa carrière artistique dans cette commune du 93.
La disparition de ce grand artiste le 2 mai 2020, a été un choc pour toute la communauté berbère et ses amis. Le porte étendard de la cause berbère se retirait dans l’amour de ses proches et de son public. Il laisse derrière lui une oeuvre et une pensée d’une richesse et d’une créativité infinies.
Dans son titre “La France des couleurs”, tiré de l’album du même nom, Idir nous invitait à la célébration de l’idéal qu’il a défendu toute sa carrière durant. L’ouverture sur l’autre, le dialogue des cultures et des identités dans leur plus grande diversité.
“On se rassemble, on se ressemble, c’est l’unité de toutes nos couleurs qui s’expriment” Idir, La France des couleurs
La crise sanitaire que nous vivons depuis plus d’un an ne nous a pas permis de nous rassembler pour honorer sa mémoire. Aussi un an après nous souhaitons lui rendre hommage en publiant un extrait de l’exposition photographique “Idir, une vie”. La sélection de photo qui vous est présentée ci-dessous est issue de la collection personnelle du chanteur.
Photos : Collection privée d’Idir / Textes : Katia-Clot Bouferrache
Cette sélection de photographies nous plonge avec une immédiateté saisissante dans ce qu’était la Kabylie à l’époque de l’enfance et de la jeunesse étudiante du chanteur Idir.
Dans les années 60, Idir grandit dans le village d’Aït Lahcène aux côtés de ses parents et de ses frères et sœurs. Deux clichés d’une grande beauté témoignent tout à la fois du bonheur intense et insouciant des enfants du village et de la rudesse du mode de vie dans les hautes montagnes de Kabylie.
Un paradoxe évident vient questionner la condition des femmes de l’époque. Il nait du contraste entre les sourires et regards pétillants des enfants et les visages mutiques de leurs mères. Elles veillent sur eux inlassablement tout en portant le poids du monde sur leurs épaules infatigables.
C’est dans cette source profonde et intarissable qu’Idir a puisé l’inspiration à de nombreuses reprises.
Pour Idir, la culture berbère, en chœur avec l’enfance au village relèvent pour ainsi dire du sacré. Cet ancrage puissant et fertile, est une source inépuisable de créativité pour celui qui sait le reconnaitre. Dans sa célèbre chanson Ssendu, Idir rend ainsi hommage à toutes les femmes, aux mères, à La Femme en général. Il dépeint au travers de gestes simples et quotidiens, toute la noblesse de l’amour, du courage et de l’intelligence des femmes.
Il évoquera sur scène la question du pardon dans la longue introduction qui précède toujours l’interprétation de cette chanson. Comme une bouteille à la mer et avec poésie, il s’excuse pour tous auprès de toutes celles qui ont souffert et qui souffrent encore.
Avec ce chant il fait de la femme la clef de voute de toute société, fondement de la sauvegarde et de la transmission de la culture d’origine, de l’identité de chacun.
Citation, « Ssendu », Idir, 1979
“Taxsayt i ḥazen ifassen, d kem a yesɛiɣ d-lbaḍna. Ulama laẓ yettwasen Lḥif yezzuznit ccna”
Dans les années 70, alors que ses camarades s’époumonent sur les tubes anglo-saxons, Idir gratte sa guitare sur des mélodies traditionnelles pour exprimer ses doutes et ses rêves d’adolescent précoce.
“Je me souviens des vieux qui me demandaient des conseils parce que je disais des choses qui appartenaient à la sagesse populaire. Cela me gênait un peu. J’ai juste eu la chance d’être là au bon moment avec les mots et les chansons qu’il fallait. ”
Une reconnaissance que le sociologue Pierre Bourdieu explique ainsi : « Idir n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille ».
Plusieurs photographies se réfèrent à sa période étudiante. Sa formation de géologue aurait pu l’amener à arpenter indéfiniment la planète à la recherche de gisements de pétrole. Mais son parcours fut tout autre, ce jeune homme discret était né pour être une icône, pour devenir une légende malgré lui.
Égrenant les clichés on reste stupéfait par la trajectoire qui fut la sienne. Quels virages, quels tournants, quels bas-côtés s’apprêtait-il à fouler pour arriver où chacun sait : dans le panthéon des grands de ce monde.
Mais, sa modestie naturelle dût-elle en souffrir, il a fait jaillir, avec ses chansons, quelque chose d’aussi précieux que l’or noir : la voix d’une minorité, la sienne, dont l’écho a largement franchi les frontières de sa Kabylie natale.
L’engagement d’Idir pour la cause berbère est à la fois profondément personnel et étroitement solidaire de la parole et l’action collectives. Il passera ainsi sa vie à partager, confronter et enrichir sa vision de l’engagement avec d’autres artistes et militants de la cause berbère.
La série de trois photographies de groupe immortalise un instant capturé au milieu d’une conversation, d’un débat d’idées, d’un fou rire. Elle rend compte de l’existence d’un mouvement venu embrasser, incarner et défendre l’identité amazighe. Troublants regards à la fois déterminés et espiègles de ces camarades, les coudes serrés pour porter les couleurs d’une culture séculaire menacée.
Cette période a sans nul doute été charnière dans la trajectoire d’Idir, tant sur le plan des idées que de l’expression de son art. Il suffira d’une opportunité saisie sans même y penser pour qu’Idir soit projeté sur le devant de la scène, un jour de 1973 sur Radio Alger. Il émeut les auditeurs en interprétant la berceuse “Rsed Ay Ides”. Mais il lui faudra attendre 3 ans avant de connaître un succès international sans précédent avec le titre (et l’album du même nom) “A Vava inouva”.
La fantastique carrière musicale que nous lui connaissons tous le sacrera ambassadeur de la culture amazighe. L’incarnation sur scène de la berbérité est un honneur aussi immense que la responsabilité qui l’accompagne.
L’auteur et interprète des choses vécues fera de son œuvre une ode à la conversation entre les cultures, au dialogue entre les générations. Multipliant les collaborations avec de grands noms de la chanson française, il fait résonner la portée universelle de son message. Le titre “Tizi Ouzou” interprété en duo avec Maxime Le Forestier restera l’une de ses plus belles réalisations en la matière.
Comment évoquer l’œuvre du chanteur sans parler des moments de magie qu’il a offert aux dizaines de milliers de personnes qui ont eu le privilège de vivre l’un de ses concerts.
A l’Olympia, comme à Bercy ou au Zenith, la fête commence aux portes encore closes des salles accueillant l’artiste. Chacun partageant sa joie et son impatience, chantant déjà par petits groupes les tubes d’Idir. Faisant flotter au-dessus des têtes les couleurs du drapeau berbère. Lorsque les barrières ne tiennent plus, tous se précipitent mus par l’envie d’arriver le plus vite possible à sa place. Pour les plus jeunes s’agglutiner dans la fosse au plus près de leur idole.
Dans la salle les lumières se tamisent et le gang de musiciens virtuoses entre en scène pour remplir l’espace d’une intro musicale qui plante le décor. L’euphorie générale emporte le public lorsqu’il monte sur scène. Il arbore un timide sourire rehaussé d’un regard rieur et fait face aux milliers de paires d’yeux qui se posent sur lui.
Il suffit de 4 notes pour que la foule s’embrase. 4 notes comme un salut adressé à tous et à chacun. 4 notes qui rassemblent instantanément toutes les âmes présentes dans la salle. Berbères, français, franco-berbères, berbéro-français et alliés chantent en cœur les paroles de « A Vava inouva ». C’est ainsi que les artistes qui ont partagé la scène avec lui ont témoigné à maintes reprises de l’accueil chaleureux et de la réceptivité du public d’Idir.
Les concerts d’Idir étaient une célébration du vivre ensemble. Un moment de joie et de partage rare. C’étaient également pour lui un moment de rassemblement idéal pour transmettre ses idées, partager son vécu et évoquer les thèmes qui lui étaient chers : l’exil, l’identité, la lutte contre toutes les formes d’intégrisme, l’amour, l’espoir…Cette volonté de transmission fera de lui un passeur, en atteste le dernier spectacle qu’il a interprété aux côtés de sa fille Tanina.
Alors honorer la mémoire d’Idir aujourd’hui, 1 an après sa disparition c’est sans doute commencer par se souvenir. Se souvenir de ses chansons qui ont bercé notre enfance, se souvenir de la douce puissance de sa voix et perpétrer son engagement pour la culture berbère et la cause amazighe.
